mercredi 30 novembre 2011

Scène du 17 novembre 2011 - Alain de l'ombre


J’y retourne parfois
En voiture ou en Vespa.
Sans comprendre pourquoi
Je ralentis mais je ne m’arrête pas.

Jemappes, quartier du Marais,
Petit miracle enclavé
Entre parcs, champs de blé et prairies à perte de vue,
A croire que la modernité
En chemin s’est perdue.
Plus loin, le canal s’étire… sombre…indolent
Témoin privilégié de mes délires d’enfant.

C’est l’été, les massettes aux gros épis marron
Colonisent les fossés, balafrent l’horizon.

Avec mes potes, direction le parc communal
Enième match de foot contre une bande de ritals.
Disgraziata ! Va fan culo ! Qué scarogne !
Ce jour-là, il n’y a pas que le soleil qui cogne !
Par six fois au moins, ils se congratulent
L’impression coutumière d’avoir été…nuls.

Vestige vivace des orages d’hier soir,
L’eau stagne sur les trottoirs de terre noire.
Ca n’empêche pas les forains de s’installer
C’est notre ducasse, l’évènement de l’année.
La lourde boule en bois vient fracasser les quilles.
J’les ramasse rapido et en fin de partie
J’reçois 50 centimes de chaque joueur
Aussitôt dépensés aux autos-scooters.

Il fait encore nuit, l’hiver a pris le pouvoir
J’entends la Vespa de mon père qui démarre.
Ma grand-mère m’explique les pauses à l’usine
C’est mieux, dit-elle, que le travail à la mine.

Ma mère vide le seau de cuivre de tout son charbon
Les gaillettes crépitent, rougeoient à l’unisson.
Elle fait chauffer l’eau sur l’unique poêle de la maison
Et la verse bouillante dans l’énorme chaudron.
Un calvaire, je fais tout pour retarder l’instant.
Mais maman se régale, shampouine vigoureusement.

Le vieux Luigi est mort cette nuit dans son lit,
C’est à cause de la silicone si j’ai bien compris.
Quand il s’exprimait, on n’y comprenait rien
Luigi ne parlait que son dialecte sicilien…
En fait son prénom, si nous l’avons connu,
C’est tellement sa femme, elle lui gueulait dessus !
Il avait mauvaise mine malgré des yeux rieurs
Il a mis en sourdine les battements de son cœur.

A peine 17 ans
Et c’est le déchirement.
Je m’ fais pas à l’idée :
Devoir déménager,
Partir, tout quitter.

Mon refuge, un terril, une terre-île.
Je suis fasciné par un étrange ballet,
Fumées des cheminées s’enlacent au gré du vent,
S’enlacent et puis se lassent… comme souvent.
Cette bosse chauve où j’ai passé tant d’heures
Se grave sur mes rétines, mon image du bonheur
D’une enfance modeste sans trop de larmes versées
D’une enfance de sourires, une vraie enfance dorée.

J’y retourne parfois
En voiture ou en Vespa.
Je ralentis…mais la prochaine fois
Peut-être que je m’arrêterai… pour y faire quelques pas.

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